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Maisons de repos : entre défis quotidiens et passion du métier
Hilde Lamberts, directrice de la maison de repos Saint-Joseph à Blegny, et Emel Bergsoj, directrice de la maison de repos Les Chartriers (groupe Jolimont-Mons), partagent leur parcours, leurs défis quotidiens et leur vision du secteur. Entre pénurie de personnel, gestion des relations humaines et attachement au bien-être des résidents, ces deux professionnelles reviennent sur ce qui les motive à exercer un métier exigeant mais profondément humain.
Asley Santoro : Bonjour à toutes les deux. Un petit mot tout d’abord pour vous présenter ?
Hilde Lamberts : Je suis infirmière graduée de formation. J'ai travaillé comme infirmière de terrain au CHU dans un service de dialyse avant de rejoindre une maison de repos. J'ai toujours exercé en dialyse, puis j'ai pris la direction d'une maison de repos en 2012. Cela fait maintenant plus de 10 ans que je suis directrice. J'arrive à mes 60 ans, ce qui signifie que je suis doucement en fin de carrière. J'ai deux enfants et je suis grand-mère. La maison de repos dans laquelle je travaille (Saint-Joseph – Blegny ) dispose de 130 lits, dont 50 en résidences services. C'est une ASBL, comme toutes les maisons de repos affiliées à UNESSA.
Emel Bergsoj : Quant à moi, je suis assistante en psychologie et intervenante en systémique. Ma carrière, qui a débuté il y 16 ans, a été assez variée, tant dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale que dans le réseau enfants et adolescents. L’année dernière j’étais responsable de l’équipe paramédicale et aujourd’hui directrice de maison de repos. Cela fait maintenant 9 mois que je dirige la maison de repos aux Chartriers, au sein du groupe Jolimont (Mons), qui accueille 128 résidents. Je suis également maman de deux filles.
A. S. : Comment gérez-vous les relations avec les résidents, les familles et le personnel au sein de vos structures respectives ?
E.B. : Concernant les résidents, je me fais un point d'honneur de les rencontrer le plus possible, de savoir comment ils vont. J’essaie de faire le tour des étages quand c’est possible, mais ce n’est jamais suffisant... et j'apprends aussi à les connaître par le biais de mes collègues.
Pour les familles, la communication est essentielle. Nous faisons de notre mieux pour les tenir informées, même en cas de difficultés, comme lors de pénuries de personnel. Il est important de maintenir une relation de confiance avec elles, de les rassurer et de répondre à leurs préoccupations pour éviter les conflits.
Enfin, pour ce qui est du personnel, je privilégie le lien avec les responsables. Cela me permet de mieux comprendre la situation au sein des équipes. En arrivant, j'ai dû prendre la relève d'une direction précédente, ce qui n'a pas été sans défi, mais j'essaie de mettre en place un management participatif, une approche qui était nouvelle pour l'équipe. Je les rencontre lors d’entretiens d’amélioration et lors d’occasions de fêtes et autres dans la maison. Au final, pour moi, la communication transparente est primordiale dans tous ces échanges.
H. L. : Pour ma part, concernant les résidents, c'est le service social qui joue un rôle clé au moment de l'inscription. Nous avons deux assistantes sociales qui assurent ce lien. Pour mieux connaître les résidents, je participe à des réunions hebdomadaires avec les responsables de soins. Je participe également à des rapports hebdomadaires, en tant qu'infirmière et directrice de nursing. Cela me permet de suivre de près la situation sur les différents étages.
Concernant les familles, elles ont d'abord un contact avec les assistantes sociales et les infirmières responsables en cas de problème de santé. Pour ma part, je suis très impliquée dans la communication avec elles, en particulier par mail ou téléphone lorsque des problèmes surgissent. Nous essayons d'être aussi transparents que possible avec les familles et le personnel.
Et pour le personnel, nous avons la chance d'avoir une directrice des ressources humaines depuis avril, qui apporte des outils plus pointus pour mieux gérer les équipes. Elle assure un suivi plus précis, ce qui nous permet de mieux répondre aux problématiques quotidiennes, notamment le turn-over et l'absentéisme, surtout parmi les aides-soignants.
A. S. : Qu'est-ce qui vous a amenées à cette fonction ?
H. L. : Je dois dire que l’évolution de ma carrière s’est faite un peu par hasard. J'étais infirmière au CHU depuis plus de 20 ans, et après un certain temps, j'ai ressenti le besoin de changement. J’étais dans une petite cellule en service de dialyse, et je faisais des visites dans les maisons de repos pour des soins de dialyse péritonéale. C’est ainsi que j'ai découvert l’univers des maisons de repos. Initialement, je n’avais pas une grande affinité avec les personnes âgées, mais au fil des visites, j’ai perçu une différence par rapport à l’hôpital. L’hôpital est un lieu de soins, tandis qu’une maison de repos est avant tout un lieu de vie, où les soins sont intégrés à la vie quotidienne. Cela m'a plu.
J’ai postulé pour un poste dans une maison de repos. Je ne connaissais pas Blégny, mais j’ai trouvé l’endroit agréable et bien entretenu.
Un an après mon arrivée, j’ai été nommée directrice des soins, et l'année suivante, lorsque la directrice générale a dû partir pour des raisons de santé, j’ai pris sa place. Cela s’est fait un peu par hasard, mais les occasions se sont présentées, et j’ai su les saisir.
E. B. : Quant à moi, ma formation de base était différente : avec ma formation de base de psy et mon activité complémentaire en tant qu’indépendante, j’ai compris que j’avais un attrait tant pour la clinique que pour l’aspect organisationnel. L’idée était de combiner les deux.
J’ai réfléchi à la manière de combiner ces deux domaines. Au début, il fallait choisir entre l’un ou l’autre, mais mon mari, consultant en maisons de repos, m’a encouragée à suivre une formation en gestion. J’ai réalisé que je pouvais allier ces deux aspects, même si la réalité est plus complexe, car il y a toujours des obstacles à surmonter. Mais cette diversité, cette possibilité de faire un peu de tout, me plaît énormément.
A.S. : Qu'est-ce qui vous fait tenir dans cette fonction ? Qu'est-ce qui vous pousse à vous lever chaque matin, à aller au travail avec l'envie de continuer, malgré les défis ?
E.B. : Ce qui me fait tenir, c'est avant tout la personne que je suis. Je pense qu'on doit tous puiser dans nos ressources personnelles. Même si la situation est difficile, il y a toujours cette envie de venir, d'apporter un message positif, d’essayer de travailler ensemble. Tant que je garde cette approche, je sais que ça fonctionnera. Si un jour mes équipes ne me suivent plus dans cette direction, là, je me poserai la question. Mais je crois que ce qui me motive, c'est de rester présente, de montrer que je mets la main à la pâte.
H. L. : Je rejoins Emel. En tant que directrice, je crois beaucoup en l'exemple, dans des gestes simples envers le personnel qui sont des gestes forts, ça montre au personnel qu'on est là, qu’on participe à la vie de l’équipe.
La solidarité, le soutien mutuel dans un environnement difficile, ça me pousse à continuer. Mais il faut être honnête, le jour où ça ne marche plus, je n’insisterai pas.
A.S. : A contrario, qu'est-ce qui vous mine dans l'exercice de votre fonction ?
H. L. : Ce qui me mine... Aujourd'hui, il y a plusieurs choses. Si je pense aux habitants et aux familles, l'une des difficultés majeures, c'est souvent les familles qui prennent des décisions pour leurs proches sans vérifier si c'est vraiment ce que la personne souhaite. Nous défendons fermement le projet de vie individuelle du résident, un projet qu'on a développé et qu'on entretient avec soin. Le problème, c'est que certaines familles insistent pour imposer leurs choix, sans tenir compte des souhaits réels de la personne. Parfois, ils réclament des choses que le résident ne veut pas, et ils ne veulent pas entendre raison. Cela me fatigue.
En ce qui concerne les habitants, je n'ai pas vraiment de problème majeur. Mais en ce qui concerne le personnel, c'est plus compliqué. Le désengagement des travailleurs est un vrai problème, et pas seulement dans notre maison de repos. C'est une tendance générale. Nous avons une équipe solide, mais elle vieillit. Actuellement, la majorité de notre personnel se situe entre 40 et 60 ans, ce qui est préoccupant. Et cela, on le sait.
Un autre problème réside dans l’évolution des valeurs du travail. Aujourd'hui, les jeunes, dès qu’il y a la moindre difficulté, ils décrochent rapidement. Le personnel sait bien qu'il peut négocier davantage aujourd'hui, et cela modifie la manière dont on doit manager. On ne peut plus se contenter d'imposer des règles, il faut aussi tenir compte des difficultés de chacun.
E. B. : Aujourd'hui, on manque cruellement d’infirmières, avant tout, et d’aides-soignants qui se forment et qui choisissent le domaine des maisons de repos.
Les jeunes ne choisissent plus ces métiers, car l'idée de devenir soignant n'est plus aussi attractive qu'il y a quelques années. C'est cela qui me mine. On essaie de compenser, mais on n'a pas toujours les moyens nécessaires pour soutenir nos équipes, et c'est un vrai défi.
Enfin, il y a aussi la question de la manière dont on peut rassembler les différentes parties : familles, résidents et membres du personnel. Il faut trouver un moyen de travailler ensemble et de rendre les choses plus faciles pour tout le monde. C’est essentiel pour nous, pour tenir bon. Il faut collaborer en ayant comme point commun le bien-être du résident.
Par ailleurs, je trouve que les situations d’urgence telles que le COVID auraient dû nous apprendre à travailler autrement et nous aurions dû avoir un appui davantage marqué de la part des politiques.
H. L. : Un autre point difficile, c’est le rôle de l’AVIQ. Elle ne nous aide pas vraiment à adapter notre travail à la réalité actuelle. Par exemple, il y a la question de l’intérim et de la flexibilité du personnel. Nous, on travaille avec des sociétés d'infirmiers et d'aides-soignants, mais l’AVIQ ne subvient pas suffisamment à ces besoins. Pourtant, je suis convaincue que la flexibilité dans l'emploi, comme avec des travailleurs indépendants, pourrait vraiment être l'avenir. Les gens cherchent de plus en plus à travailler quand ils en ont envie, plutôt que d’être liés à des contrats fixes à durée indéterminée. On a des budgets pour embaucher, mais il n’y a tout simplement pas de personnel à recruter.
A. S. : Pour clore cet entretien, j’aimerai vous demander à toutes les deux si vous avez un petit mot à ajouter, peut-être un message pour l'avenir du secteur ou de votre structure, quelque chose à partager?
H. L. : Pour ma part, je vois la fin de ma carrière qui approche. Je suis contente d’avoir tenu toutes ces années. Je me donne encore trois ans, puis je terminerai. Ce que je fais aujourd’hui, c’est préparer la suite. Je n’aurai pas voulu partir sans avoir assuré la continuité. Après toutes ces années, je reste convaincue que l’essentiel est d’être conscient que le bonheur et l’épanouissement viennent souvent du service et de la relation à autrui. Pour moi, s'occuper des personnes fragiles reste le plus beau métier du monde.
E. B. : Je vais rebondir là-dessus. En effet, choisir de travailler dans ce secteur, que ce soit pour moi ou pour mes collaborateurs, c’est avant tout un choix. Tant les collaborateurs que moi avons fait le choix de travailler dans ce domaine avec toutes les difficultés et les responsabilités qui incombent à ce choix. Je trouve qu’il ne faut pas oublier cette part de responsabilité pour être au plus proche du résident et que notre travail reste agréable. Il y a tellement de défis et une telle charge que j’aimerai tenir aussi longtemps qu’Hilde !
A. S. : Merci beaucoup à toutes les deux.
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