COVID-19 : la grande révélatrice
La pandémie de Covid-19 sévit en Belgique depuis pratiquement un an. 12 mois de crise, d’efforts, de sacrifices, de pertes, mais aussi de solidarité et… d’opportunités. Brigitte Médard, Directrice de la pouponnière Sainte Adeline en région liégeoise et Jean-Yves Ska, Directeur de la « maison de vie et de soins » et résidence services Le Clairval près de Beauraing, nous en parlent. L'intégralité des échanges en vidéo et les "morceaux choisis" un peu plus bas.
UNESSA News : Les premières informations sur la Covid-19 étaient loin d’être alarmistes. Comment avez-vous réagi ?
Brigitte Médard : De notre côté, accueillant des enfants de 0 à 7 ans, on a pris des mesures strictes très rapidement. Il y a eu très vite une prise de conscience que c’était du sérieux.
Jean-Yves Ska : au début de 2020, le gouvernement se voulait plutôt rassurant. On ne s’est pas trop inquiété. Et début mars, quand les premiers cas sont apparus dans le pays, on a très vite compris que la gestion du gouvernement était un peu chaotique : manque de matériel etc…. On a pris nos précautions et on a anticipé pas mal de choses au sein de l’institution.
UN : Comment avez-vous mobilisé vos équipes pour affronter cette crise ?
BM : Lors de la première vague, nous n’avons pas été impacté directement. Mais nous avons mené un gros travail de réorganisation interne … Tout ce qui a été mis en place à ce moment est toujours d’actualité.
La décision la plus dure a été d’interdire les visites des parents, des thérapeutes externes… La communication a été primordiale. On a notamment créé une page Facebook pour informer le personnel au quotidien. La mobilisation du personnel a été très forte, malgré des craintes énormes. Ainsi au mois de mars, les enfants ont été assez bien malades. Or, nous ne savions pas s’ils souffraient ou non de la Covid. Nous n’avions pas accès aux masques et nous n’avions pas de tests de dépistage. Malgré cela, le personnel a pris soin des enfants sans protection.
JYS : Lors de la première vague, on a eu la chance de ne pas être directement impacté. La plus grosse difficulté, c’était le manque de matériel. On a tenté de rassurer au maximum le personnel. On a cherché des masques en tissus à gauche et à droite. On a insisté sur l’utilisation d’équipements de protection individuels avant les recommandations des autorités. On a également communiqué au maximum avec le personnel comme avec les résidents et les familles. Ce n’était pas évident car des directives, parfois contradictoires, arrivaient tous les jours. On a tout basé sur la communication et la transparence. Nous avons également confiné les lieux et restreint les déplacements des résidents au maximum. Côté personnel, la mobilisation a été sans faille, quasi tout le monde a répondu présent. Du côté des responsables, nous nous sommes rendus disponibles sept jours sur sept pour accompagner le personnel. Alors que de notre côté, nous nous sommes sentis abandonné par le politique.
UN : Madame Médard, ce sentiment d’abandon du politique, vous l’avez également ressenti ?
BM : Oui. Globalement, nous l’avons ressenti, en tout cas dans un premier temps. Nous avons pris des décisions en interne. Nous avons dû attendre longtemps avant d’avoir des consignes claires de notre pouvoir de tutelle, l’ONE. Nous avons eu très peu de signaux de notre ministre également. Mais ce sentiment d’abandon a été compensé par une grande solidarité en périphérie. J’ai appelé cela les « petits bonheurs ». Nous avons eu des marques de soutien de notre CA, d’UNESSA… Nous avons reçu des dons, notamment des jeux pour les enfants. IKEA nous a fait don de plantes vertes lorsqu’ils ont dû fermer leurs portes. Chaque membre du personnel a reçu sa plante. Ce sont des petites choses qui nous ont permis de tenir.
Mais ce qui a également été difficile, c’est l’entre-deux vagues. Ce fut un moment particulier à piloter. Il fallait rouvrir. Oui mais… à quel rythme ? Comment ? C’était un questionnement quotidien. Moi, ce qui m’a fait avancer, c’est : que faut-il faire pour que les enfants se sentent au mieux ? Que mettre en place pour qu’ils gardent le contact avec leurs familles ? Quels mots utiliser pour une bonne compréhension de la situation ?
UN : Monsieur Ska, comment les choses se sont-elles passées dans l’entre deux vagues chez vous ?
JYS : Lorsque le déconfinement est intervenu après la première vague, notre personnel était assez stressé. Rouvrir, c’était un risque. Il comprenait la nécessité des visites des familles, mais il a fallu rassurer. Lorsque la réouverture a été annoncée par les médias un vendredi pour le lundi suivant, cela a été un peu la panique. La désorganisation du gouvernement a été parfois plus difficile à gérer que les consignes et le déconfinement progressif que l’on voulait mettre en place chez nous. Encore une fois, à force de dialogue, nous y sommes arrivés.
UN : Quelles sont les principales autres difficultés auxquelles vos structures ont été confrontées ?
BM : Travailler sans masque a été difficile au cours de la première vague. Par contre, nous n’en avions pas encore conscience, mais travailler tout le temps avec un masque c’est aussi une très grande difficulté. Et cela peut avoir des conséquences sur le développement des bébés. S’ils ne voient pas l’entièreté du visage, cela peut provoquer des retards chez l’enfant. Nous devons donc rester vigilants. Nous avons également dû nous réinventer. C’est une remise en question et une adaptation permanente. C’est difficile, mais cela nous ouvre à des fonctionnements différents. Ainsi, nous fonctionnions sur base de quatre grosses équipes. Nous les avons réorganisées pour en créer huit afin que les adultes se croisent moins. Et chacune de ces équipes prend en charge un nombre restreint d’enfants, à leur bénéfice. Lors de la deuxième vague, nous avons été confrontés au manque de personnel. Les certificats de quarantaine sont tombés en quinze jours, trois semaines de temps, suivis par des certificats de maladie… On a engagé quatre personnes pour faire face, évidemment dans des conditions qui n’étaient pas idéales. On a travaillé sans filet.
JYS : Le manque de matériel de protection lors de la première vague et le déficit de personnel lors de la deuxième. Nous avons été obligés de faire accomplir certains actes par des personnes non formées pour. Faute de tests, nous ne savions pas non plus si une personne malade dans le personnel ou parmi les résidents était ou non malade de la Covid-19, ce qui ajoutait beaucoup de stress.
Nous nous sommes également réinventés en permanence. Les fêtes de fin d’année furent très particulières.
On vit de projets, c’est ce qui nous fait avancer et tout cela a dû être mis de côté. Tant pour le personnel que pour nous, ce fut difficile.
UN : Comment se sont passés les contacts avec vos « bénéficiaires » et leurs proches ?
JYS : Lors de la première vague, certains résidents et des familles ne comprenaient pas les mesures de confinement, alors que nous n’avions pas été touchés. Lors de la deuxième vague, ce fut le cas. Une trentaine de membres du personnel ont été touchés ainsi que des résidents. Leur regard a alors changé. Le confinement et les directives sont mieux passés. Nous avons très vite organisé des animations individuelles pour nos 95 résidents. On a rassuré, on a expliqué… Mais pour les résidents souffrant de troubles cognitifs, ce fut plus compliqué. Pour les contacts entre les résidents et leurs familles, nous disposons de plusieurs tablettes. Mais une fois encore, pour les personnes souffrant de troubles cognitifs, c’était difficile, tout comme pour celles souffrant de problèmes auditifs.
BM : Pour notre part, le défi a été d’expliquer la situation aux enfants, avec les mots justes : pour expliquer le « Cocovirus » comme nous l’avons baptisé, pour expliquer pourquoi les parents ne venaient plus. Nous avons mis en place une communication différente avec les parents : vidéo, téléphone, dessins, petits cadeaux… Pour les plus âgés, cela convenait, pour les plus petits, c’était plus délicat. Là, c’était plutôt un contact entre nous et les parents pour donner des nouvelles et expliquer les progrès des enfants. Certains enfants se sont paradoxalement apaisés pendant cette période.
UN : Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?
BM : Il y a des difficultés, des opportunités, mais c’est surtout une crise épuisante. Car elle s’étire en longueur et c’est loin d’être fini. À certains moments nous sommes reboostées, à d’autres nous nous sommes découragées. Et on se dit "mais quand" cela va-t-il se terminer ? Sur le plan positif, elle nous a amené à nous réinventer. Je ne suis plus la même. Je suppose que le personnel voit aussi les choses différemment. J’ai aussi été témoin d’une très, très belle solidarité.
JYS : Si je dois retenir quelque chose, c’est la solidarité des équipes. Je pense que j’ai beaucoup de chance. La collaboration entre services a été excellente, elle s’est renforcée. C’est le côté positif de cette crise. On a aussi redécouvert des aspects de nos activités que nous jugions peut-être moins importants mais auxquelles nous redonnons désormais toute leur place.