Réseaux : ne brûle-t-on pas les étapes ?

04/05/2017 - Le Spécialiste a rencontré les deux directeurs adjoints de UNESSA, Benoît Hallet et David Lefèbvre


 Au sein des fédérations hospitalières, des craintes se lisaient ces derniers temps sur les visages. Aujourd’hui, elles s’expriment ouvertement. Après Gibbis dans notre dernier numéro, Unessa confirme aujourd’hui qu’il règne un certain malaise dans le secteur. La réforme du paysage hospitalier fait du surplace et soulève un certain nombre de questions bien légitimes. Rencontre avec les deux directeurs adjoints d’Unessa, Benoît Hallet et David Lefèbvre.


On nous parle d’une réforme extrêmement vaste et on ne sait pas quelle direction elle va prendre. Elle a un certain sens systémique. On y voit bien une cohérence générale. Mais comme dans toute réforme, le diable se cache dans les détails et dans une planification  qui pourrait être plus rationnelle », déclare Benoît Hallet.

« Dès lors on peut comprendre que les gestionnaires hospitaliers, les médecins et les organismes assureurs sont demandeurs  de plus de détails. Ceux-ci se font attendre tandis que le gouvernement impose de nouvelles économies. Aujourd’hui, on a un peu ce sentiment que le gouvernement s’attaque à une multitude de réformes dans les soins de santé, qui vont un peu dans tous les sens. Dans le secteur hospitalier, nous savons qu’il faut réformer, mais nous n’avons pas encore entamé une seule réforme que l’on nous demande déjà plus de 200 millions d’euros d’économies rien que pour 2017, soit plus de 3.200 ETP », observe le directeur adjoint d’Unessa.

On restructure ou on réforme ?

« Lorsque nous écoutons nos membres, nous avons l’impression que l’on est arrivé à un point de non-retour. », ajoute David Lefèbvre.  « Aujourd’hui, en parallèle de la courbe d’emplois qui s’aplatit, il y a une augmentation de l’activité, une diminution des durées de séjour ce qui se traduit dans une intensification des soins. Donc, cela signifie que la pression sur les équipes soignantes est de plus en plus forte, ce qui risque à terme de porter atteinte  à la qualité et à la sécurité des patients. »
 
Le taux de croissance du budget des soins de santé qui est actuellementde 0,5%  n’est donc pas tenable. « La ministre dit qu’elle continue à augmenter le budget puisqu’elle l’augmente de 0,5% (contre 4,5% il y a une dizaine d’années), mais ce budget croît  dans les faits moins vite que l’activité. C’est cela qui met les hôpitaux en difficultés. Les gestionnaires hospitaliers consacrent la majorité de leur temps à tenter de joindre les deux bouts.  Cest du temps qu’ils n’ont pas pour d’autres chantiers importants comme la constitution des réseaux, l’implémentation du dossier patient informatisé, se préparer à la forfaitarisation,… Autant de chantiers ouverts dans le cadre du plan de réforme de la Ministre », rebondit Benoît Hallet.

« Dès lors, ce qu’Unessa demande, c’est que les besoins soient couverts le temps de mettre en place la réforme hospitalière. Cela devra se traduire par un pacte de stabilité budgétaire entre le Gouvernement et les hôpitaux. Un tel pacte permettra d’entrer dans la réforme avec plus de sérénité. » 
 
Un moratoire qui bloque le processus

Unessa s’interroge sur la cohérence dans la méthodologie utilisée par le gouvernement.  Un exemple récent : le moratoire imposé  fin décembre 2016.  « Dans un même temps, le Gouvernement veut mettre en place les réseaux demande aux hôpitaux de s’entendre pour réformer l’offre de soins hospitalière. En plus, le gouvernement impose un moratoire sur la totalité des programmes de soins, des fonctions et des lits hospitaliers. Non seulement, cela bloque tout échange possible entre hôpitaux, mais même en interne, au sein d’un même hôpital, il n’est plus possible de reconvertir des lits », s’exclame Benoît Hallet.

Et à ce jour, si des notes d’intention ont circulé, le Cabinet n’a toujours pas donné les règles du jeu définitives. Les fédérations ont eu l’occasion de formuler leurs remarques sur ces premiers projets de notes, mais elles déplorent le peu de réaction de la cellule stratégique du Ministre.  

Parmi les revendications chères à Unessa, on trouve la liberté d’association dans la formation des réseaux. « Nous craignons que certaines règles empêchent des  réseaux naturels de se mettre en place voire même mettre en péril certains d’entre eux déjà existants. Par exemple, limiter le nombre de réseaux à 25 et à 2 sur la place bruxelloise, cela ne nous paraît pas suffisant et en adéquation avec la réalité du terrain. Pourquoi se borner à ces 450-500.000 habitants alors que dans la littérature internationale, les réseaux hospitaliers recouvrent de 200 à 800.000 habitants ? Nous craignons vraiment pour l’accessibilité des soins et la liberté de choix du patient », commente David Lefèbvre.

N’oublions pas les entités fédérées !

Pour David Lefèbvre, un autre point qui n’est pas suffisamment pris en compte dans les travaux du Cabinet, cesont les suites de la 6ème Réforme de l’Etat. « Toute une série de principes qui sont actuellement en réflexion au niveau du Fédéral trouveront à s’appliquer au niveau des entités fédérées.

Ces concertations prendront aussi du temps. Et je ne suis pas sûr que dans l’agenda du Gouvernement fédéral, ces travaux aient été suffisamment planifiés et anticipés. »

« Par exemple,  en ce qui concerne le financement des infrastructures hospitalières qui ont été régionalisées, il y a eu une CIM qui a abouti sur une note de positionnement des différentes entités.  Ce document stipulait que chacune des entités fédérées s’inscrive dans le plan de réforme du Fédéral. On attend de voir… », poursuit le directeur adjoint d’Unessa.

Et chez nos voisins ?

Si l’on se penche sur la situation de nos voisins français, on peut se demander si l’on ne met pas la charrue avant les bœufs chez nous… « En France, il a été décidé de d’abord réformer le financement par pathologie. On a fait la T2A (Ndlr : système de financement de tarification à l’activité) il y a 10 ans. Et puis, une fois laT2A assimilée, il a été demandé aux hôpitaux, sur base de projets médicaux concertés, de travailler en réseaux. Les Agences régionales de santé ont été chargées d’organiser la réflexion médicale autour de  ces projets médicaux.. Cela a encore pris 2 ans. Et puis seulement, on a installé les réseaux. Chez nous, les réseaux ne sont pas encore installés que l’on aborde déjà la question du financement. C’est interpellant. On a un peu l’impression que l’on court plusieurs lièvres en même temps  », conclut Benoit Hallet.

France Dammel
 

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